Sur les plus de 2200 fontaines, puits et lavoirs relevés dans les Vosges, environ 27 % portent encore aujourd'hui un décor en relief, dont 462 fontaines-abreuvoirs, 123 lavoirs, 14 puits. Il y en avait bien davantage à l'origine, car nombre de ces décors étaient rapportés (mascarons…) et ont disparu au fil du temps. Ce sont soit des ornements architecturaux magnifiant les façades de l'édifice public, soit des éléments sculptés ou en fonte sur la colonne d'alimentation ; pas sur les bassins ou en toiture. La seule exception relevée est le bassin situé à Bazoilles-sur-Meuse, produit par la fonderie de Varigney en 1873, et qui est orné d'un motif symétrique de palmettes et volutes.
Fontaine de Bazoilles-sur-Meuse, vue de détail du bassin central, signé et daté
En plus de l'intérêt esthétique, ces décors ont souvent une portée symbolique, voire apotropaïque. Hormis celles à vocation commémorative, les fontaines sont placées sous la protection de la statue d'un saint, d'un personnage mythologique ou d'un symbole (étoile, cœur, croix, pomme de pin, trèfle, armoiries…).
Principalement situées dans la plaine et le piémont, (rarement dans la montagne), 80% (483/600) des fontaines et lavoirs présentant un décor, développent un programme décoratif faisant référence à l'antiquité gréco-romaine. Certes, une grande part d'entre eux (90%) est seulement composée de décors ornementaux (frises, mascarons, vases…), mais les autres (53/483) portent un discours plus complexe par la référence à des personnages de la mythologie greco-romaine en particulier.
Les ornements faisant référence à l'antiquité
La référence à l'antiquité est omniprésente dans les formes et décors des édicules liés à l'eau. Indirectement, la mise en place de système d'adduction au cours du 19e siècle renvoie aux constructions romaines qui représentent le fleuron technique des civilisations. Ce type de grand projet entre une source et le centre du village, est permis grâce à la force d'organisation des communes. Ces investissements coûteux sont l'occasion de mettre en avant la prospérité de la communauté en affirmant la vocation publique des édicules par des ornements qui leur confèrent l'apparence de petits temples dédiés à l'eau, l'hygiène et l'abondance. Dans le centre des Vosges par exemple, il est fréquent que les sources captées soient rassemblées dans un amas d'eau couvert d'un édicule en pierre de taille évoquant un sanctuaire à fronton triangulaire (Haillainville, Hautmougey, La Haye, Montmotier, Sercoeur, Tremonzey, Villotte, notamment).
La fontaine et le lavoir sont placés à l'autre extrémité de la conduite souterraine et sont au minimum garnis d'une moulure qui évoque une corniche. Parfois, les lavoirs prennent également l'apparence d'imposants
temples antiques, surtout dans les Vosges Méridionales (Relanges, Lamarche, Villotte…). On y retrouve un plan rectangulaire avec une couverture à deux pans formant des frontons (en façades latérales) ou rabattus par des croupes. Les façades ouvertes sont scandées de colonnes ou de piliers avec des chapiteaux d'ordre toscan, soutenant généralement une corniche moulurée. C'est le cas aussi pour les puits couverts de Pierrefitte et Hennecourt.
Lavoir d'en bas à Relanges, vue d'ensemble de trois quarts droit.
Fontaine-lavoir-abreuvoir de Frizon, vue de détail du chapiteau de la colonne centrale.
Les mairies-lavoirs et les lavoirs ouverts sur un coté sont régulièrement parés de 3 baies en plein cintre (24/248 cas). La forme de la serlienne (baie en plein cintre flanquée de deux baies dont les linteaux droits forment les impostes de l'arc) est employée seulement au lavoir du bas de Montmotier, et à celui de Gruey-les-Surance (détruit), tous deux construits vers 1837, selon les plans de Louis Gahon, architecte de l'arrondissement d'Epinal entre 1825 et 1858).
Lavoir de Montmotier, vue ensemble de trois quarts droit de la facade antérieure.
Lavoir de Bains-les-Bains. Vue d'ensemble de trois quarts gauche de la facade antérieure.
Sur les lavoirs clos, ces formes classiques se déclinent en pilastres, baies en demi-lune, cimaises, frontons, niches…
Quelles soient en pierre ou en fonte, les fontaines reprennent fréquemment la forme du pilier coiffé d'une corniche moulurée. Elles sont même surmontées de frontons travaillés à Fouchécourt, Fréville, Hadol, Mattaincourt, et Maxey-sur-Meuse. Cette forme est complétée de frises reprenant les motifs antiques les plus courants : palmettes, frises d'ove, raies de cœurs, vagues, grecques, denticules…
Fontaine de la rue du Bas à Fréville, vue d'ensemble de la colonne d'alimentation.
Les colonne d'alimentation peuvent également être couronnées d'un vase (28/483), d'une urne (7/483) ou d'une coupe (6/483) souvent en fonte, parfois en pierre, qui est aussi le support de décors d'inspiration antique. La forme du vase Médicis est d'ailleurs la plus courante.
Plus généralement, la pomme de pin est l'ornement qui est le plus employé. 119/483 ont été identifiées, mais un grand nombre à disparu au fil du temps. Il en est de même pour les mascarons qui reprennent la figure du mufle de lion (162/483), car la quasi-totalité est en fonte, en applique ; rares sont ceux en pierre comme à Removille.
Les autres mascarons relevés (81/483) conservent cette référence à l'antiquité en se parant de motifs géométriques ou d'une tête humaine évoquant une divinité.
Quelques représentations symboliques utilisées dans l'antiquité sont également relevées : couronnes de laurier et de chêne, feuilles de vigne, blés, et cornes d'abondance.
Fontaine-lavoir du Cygne de Robécourt, vue de détail de l'urne.
Fontaine-abreuvoir-lavoir de la rue du Val à Removille, vue d'ensemble.
Les références à l'antiquité égyptienne sont très restreintes, en comparaison de l'engouement parisien et lorrain du début du 19e siècle, suite aux expéditions napoléoniennes. Seuls 6 obélisques, simples, ont été identifiés, et quelques discrètes références comme les fleurs de lotus sur les colonnes d'alimentation de la fonderie de Tusey.
Les figures mythologiques
Les fontaines les plus monumentales se parent quasiment toutes de références à l'antiquité gréco-romaine. En plus des ornements architecturaux, géométriques et végétaux, certaines (53/483) développent un programme iconographique plus complexe incluant des représentations de divinités mythologiques ou les créatures les accompagnants. La plupart (49/53) sont en fonte, mais 4 sont en pierre. Datant du 18e siècle, celles-ci s'appuient sur l'image de Neptune et Amphitrite, dieux de la mer mais aussi de l'eau douce, des nymphes et des esprits maléfiques qui peuplent les rivières et les sources. Les rôles protecteur et symbolique des anciens dieux semblent le prétexte à un traitement ornemental soigné.
Fontaine Neptune à Remiremont, vue d'ensemble de trois quarts droit.
Ils sont ici représentés de manière classique, mais leur protection est plus souvent convoquée par la seule représentation d'un attribut. Ainsi une soixantaine de fontaines portent des tridents qui symbolisent le pouvoir des divinités aquatiques. S'ils évoquent Neptune, ils sont également portés par des sirènes ou des tritons, comme sur les bornes-fontaines de Coussey. Ce motif est aussi employé sur la colonne d'alimentation produite par la fonderie de Varigney, largement répandue dans les Vosges.
Borne fontaine - abreuvoir de la place de l'Eglise à Coussey, vue de détail de la borne fontaine
Lavoir de la Rue Neuve à Midrevaux, vue de détail de la colonne d'alimentation
Ces représentations qui évoquent une protection de la qualité de l'eau jaillissant de la source, sont également associées à des symboles d'abondance, pour que celle-ci ne tarisse pas. Ainsi, la borne-fontaine fabriquée par Achille Cadet et E. Guesnier est ornée d'un relief figurant un triton et une sirène tenant respectivement un roseau et une tige de blé.
De la même manière, les autres représentations de divinités de la mer sont accompagnées de poissons, de coquillages, d'outils de pêche..., en symbole d'abondance, à l'exemple du jeune triton tentant un poisson devant la gare, ou celle de la Femme à la corne d'abondance devant l'ancienne mairie (détruit), toutes deux à de Saint-Dié-des-Vosges.
Pour compléter cette promesse de prospérité que représente l'installation d'une nouvelle fontaine au cœur de la ville, des figures des dieux et déesses liés à l'abondance, au travail et à l'agriculture sont aussi placées sur la colonne d'alimentation. La plupart font partie du remarquable ensemble de Raon l'Etape : Cérès (déesse de l'agriculture et de la fécondité) qui a été remplacée par Le Printemps ; L'Automne qui porte un panier de fruits (raisin, grenade, pomme, pomme de pin, abricot...). Derrière ses pieds nus, une trompe de chasse et une bécasse sont accrochées à une souche d'arbre. En dessous, chaque face de la colonne d’alimentation est décorée d'un trophée de chasse et d'un mascaron à tête de Méduse. On peut aussi relevée la statue de la Chèvre pourrait représenter la chèvre Amalthée cherchant du miel pour nourrir Zeus.
Différentes personnalités antiques sont sollicitées dans d'autres communes comme Pomone, protectrice des vergers et des fruits à Saint-Amé, probablement Cères brandissant une gerbe de blé et une faux à Poussay, et Apollon à Midrevaux. Dieu solaire et des arts, il est aussi celui qui guérit et prédit les saisons par les oracles. Les mêmes vertus sont probablement recherchées à la fontaine du château de Frizon, par la représentation d'un caducée qui est l'attribut d'Hermès.
Il existe aussi des évocations de Bacchus à travers des mascarons à tête de satyre couronné de feuilles et de grappes de raisins (Gérardmer et Allarmont).
Statue de Pomone à Saint Amé, vue d'ensemble de face, de trois quarts gauche.
Les catalogues des fonderies de Meuse et de Haute-Marne, dont sont issues les fontaines vosgiennes, ont grandement participé à la diffusion de ce type de représentation dans la seconde moitié du 19e siècle, proposant des copies d'antiques. La fonderie du Val d'Osne a ainsi fabriqué pour la ville de Raon-l'Étape des reproductions en fonte d'après deux modèles de statues antiques conservées au Musée du Louvre : "Diane de Versailles" attribuée à Léocharès (diane chasseresse) et "Diane de Gabies", d'après une œuvre de Praxitèle. Le catalogue propose aussi une représentation de Minerve qui a été installée à l'entrée de la ville. Une statue identique a été employée sur la fontaine de Moyenmoutier, mais porte le nom de Diane.
Le rapprochement entre certaines statues ornant des fontaines avec une divinité mythologique particulière est parfois hasardeux, toutefois, la facture et la thématique classique, font référence directement à l'art et aux figures antiques. C'est le cas pour les représentations de femmes versants de l'eau (fontaine de Bains-les-Bains, de Granges-sur-Vologne, de Saint-Ouen-lès-Parey, de Senones…) ; et d'enfants jouant avec des cygnes, des poissons des filets de pêche, des tridents, des coquillages ou des vases (Manufacture de Bains-les-Bains, Fontaines du Bonheur, de l'Enfant et du Cygne, des Coliches et de l'Enfant à Raon-l'Etape, Jardin des olives à Remiremont, fontaines à Essegney, Fontenoy-le-Château, Sartes, Bazoilles-sur-Meuse, Vrécourt).
Fontaine Saint-Georges à Sartes, vue d'ensemble de la colonne d'alimentation de trois quarts droit.
Enfin, en plus des nombreuses représentations de mascarons à mufle de lion, la puissance de l'animal a été associée aux lavoirs de La Vacheresse et de Valfroicourt. On les retrouve sous forme de griffons en fonte pour la Fontaine des Quatre Lions, image qui est d'ailleurs utilisée comme symbole de la ville de Raon-l'Etape.
Tableau de recensement des édicules liés à l'eau dans les Vosges portant des décors.